8 juillet 2020 : ce jour-là sur TikTok personne n’était prêt à passer des déhanchés de Charli d’Amelio aux vidéos d’Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Discours formel pour l’un, parodie du tube Anissa pour l’autre, les deux hommes politiques font une entrée remarquée dans le TikTok Game. Si certains internautes ont trouvé cela osé et amusant, d’autres sont sceptiques quant à leur place sur le réseau social. Loin d’être anodine, l’incursion de la sphère politique sur le terrain de jeu de la génération Z fait écho aux enjeux électoraux à venir. Retour sur un phénomène qui dépasse les frontières françaises.
Tiktok : un grand parmi les grands
Que certains n’aient pas entendu parler de TikTok, aujourd’hui (et deux confinements plus tard) c’est quasiment impossible. Vidéos humoristiques, chorégraphies ou encore challenges loufoques, la plateforme est devenue un acteur incontournable du paysage social media. Confinement et ennui obligent, on vous met au défi de trouver une personne de votre entourage qui ne s’y soit pas essayé. Les chiffres sont là pour le confirmer : 4 ans seulement après son lancement, TikTok comptabilise plus de *689 millions d’utilisateurs actifs et 2 milliards de téléchargements. C’est du jamais-vu pour une application aussi récente et qui n’appartient pas au groupe Facebook.
En France, tous les indicateurs sont également au vert ; 11 millions d’utilisateurs actifs, + 90 % d’utilisateurs entre janvier et avril 2020 et une portée organique miraculeuse. Adoptée par un public d’adolescents à ses débuts, la plateforme est à présent en forte progression sur les jeunes adultes de 18 à 24 ans. Ils représentent à l’heure actuelle 37 % des utilisateurs. Une audience digitale native difficile à capter, mais très attrayante pour les marketeurs. Pas surprenant donc de constater que marques, personnalités et autres célébrités investissent la plateforme à bras-le-corps. Quel ne fut notre étonnement cependant, lorsque le président de la République française “himself” a posté sa première vidéo et ouvert la voie à ses confrères.
Les 18-24 ans représentent 37 % des utilisateurs sur TikTok. Une audience attrayante pour les marketeurs, mais pas seulement
Les politiques à l’assaut des « jeun’s »
@emmanuelmacronSi vous venez d’avoir votre Bac, ce message est pour vous ! ##bac ##bac2020♬ son original – Emmanuel Macron
« Si vous venez d’avoir votre bac, ce message est pour vous, d’abord bravo. » Loin (trrrrès loin) des usages de la plateforme, Emmanuel Macron félicite les nouveaux bacheliers et fait son entrée officielle dans le monde des TikTokeurs. Carton plein pour le chef de l’Etat, la vidéo comptabilise plus de 12 millions de vues et 1,4 millions de like. Est-ce parce que son contenu était incroyablement pertinent ou bien parce qu’il est président de la République, on vous laisse trancher. Cela dit, ce n’est pas le premier essai d’Emmanuel Macron hors des sentiers battus. On se rappelle son interview Konbini lors des élections présidentielles en 2017, de son entretien avec le youtubeur Hugodecrypte en 2019 ou plus récemment de son live avec le média Brut. Cet intérêt soudain ne serait-il pas une stratégie déguisée pour capter les plus jeunes en vue des élections ? D’autant plus qu’il est difficile pour les politiciens de capter les plus jeunes qui consomment l’actualité différemment. Aujourd’hui, 73 % des 18-24 ans s’informent via les réseaux sociaux.
34 % des 18-24 ans n’ont pas voté aux dernières élections présidentielles et ne parlons même pas des législatives… Emmanuel Macron amorce une opération séduction d’une audience clé d’ici le printemps 2022.
Pas certain que son rival Jean-Luc Mélenchon soit dans la même approche. Provocateur, il trolle le chef de l’État dans sa première vidéo en parodiant le tube Anissa de la chanteuse Wejdene. Si le premier a été jugé trop sobre, le second a été perçu comme « drôle » voire même « ridicule » par les internautes. Le président de la France insoumise semble certes plus au fait des codes de la plateforme mais son humour semble principalement tourné vers la provocation du chef du gouvernement.
À ce jour, les deux hommes politiques ont seulement quelques vidéos sur leurs comptes respectifs, mais on peine à voir se dessiner une stratégie éditoriale forte. C’est avant tout la curiosité et la notoriété qui leur a permis d’atteindre des scores d’engagements si forts. Quoi qu’il en soit, ils ont bel et bien ouvert le bal et on retrouve à présent Agnès Buzyn (160 abonnés), Marlène Schiappa (5 700 abonnés), et l’eurodéputé Raphaël Gluskmann (16 000 abonnés) avec un succès plutôt mitigé.
D’Emmanuel Macron à Nicolas Maduro, les politiciens cherchent leur place
Les Français ne sont bien entendus pas les seuls à tenter l’exercice, nos voisins européens entrent aussi dans la danse. C’est ainsi qu’on retrouve le président de la République polonaise Andrzej Duda. 400 000 abonnés pour le chef d’Etat et chose surprenante pour une figure publique, un compte privé. On a lancé une demande d’abonnement qui, à ce jour, reste en attente, Andrzej si vous lisez cet article…
Chez nos voisins les Belges, le ministre-président de la Wallonie Elio Di Rupo récolte un certain succès. Naturel et plein d’humour, l’homme de 69 ans nous invite à découvrir les coulisses de ses déplacements. Et il ne fait aucun doute qu’il peut compter sur une social team efficace : slow motion, musique tendance, montage vidéo dynamique, effets sonores… Elio Di Rupo se laisse porter par son équipe et ça fonctionne.
@eliodirupoCommémoration du rattachement des Cantons de l’Est à ##Malmedy ! 🤵🏻 ##pourtoi ##eliodirupo ##ptp ##foryou ##Belgium ##politic ##leflowestpresent♬ son original – Elio Di Rupo
Du côté du pays de la Dolce & Vita, on retrouve l’italien Matteo Salvini, leader du parti politique La Lega. Connu pour ses sorties médiatiques et ses opinions tranchées, il est très présent sur la plateforme TikTok. Alternant vidéo au format selfie, moments de vie privée et sujets institutionnels, il maîtrise l’exercice. La clé de son succès ? Jouer la proximité tout en partageant ses idées politiques de manière anodine. 378 000 abonnés plus tard, quelques 4 millions de likes et des vidéos à plus de 500 000 milles vus, Matteo Salvini a trouvé sa place. Pour ce dernier, Tiktok s’installe définitivement comme un outil de communication (de propagande ?) redoutable.
Pour Andréa Borello, étudiant et influenceur politique, le succès du politicien n’est pas si surprenant « Matteo Salvini a une équipe de communication incroyable, c’est le meilleur sur les réseaux sociaux en Italie, il a même plus d’abonnés sur Instagram que le premier ministre Giuseppe Conte (…) Il est le seul politicien présent sur Tiktok, c’est un homme moderne et à l’écoute des évolutions sociétales ».
@matteosalviniufficiale🚲♬ suono originale – Matteo Salvini
De l’autre côté de l’Atlantique, on retrouve le président vénézuélien Nicolas Maduro. Avec plus de 200 vidéos au compteur pour le chef d’Etat, l’utilisation de TikTok semble ancrée dans sa stratégie de communication. Pourtant, avec 52 000 abonnés et parfois 1000 vues sur ses vidéos, ce n’est pas un franc succès. Cela s’explique par des vidéos trop institutionnels et au format horizontal, loin de répondre aux codes attendues sur le réseau social.
@nicolasmaduromNos preparamos para un 2021 de recuperación y prosperidad para Venezuela. Será el año del Bicentenario de Carabobo y del nuevo ciclo para la Patria.♬ sonido original – Nicolas Maduro
Et nos amis américains dans cette histoire ? Avec les frasques et sorties médiatiques qu’on lui connaît, on pouvait légitimement penser que Donald Trump ferait une entrée tonitruante sur TikTok. Et puis non, rien, on est presque déçus. Pas de compte pour l’ex-président ni pour une autre personnalité politique américaine forte. Pour l’instant, les Américains ont davantage investi le réseau de gaming Twitch et ont laissé l’application de partage vidéo de côté.
Une plateforme avant tout basée sur l’humour et le fun
Petit rappel : les contenus du réseau social chinois sont majoritairement drôles, funs et divertissants. En somme, aux antipodes de la représentation et de l’image que l’on se fait des politiciens. Il est donc intéressant de questionner la place de l’humour dans la sphère politique. Si Emmanuel Macron a été critiqué pour sa sobriété exacerbée sur TikTok, pas sûr que si nous l’avions trouvé en train de danser il ne l’aurait pas été davantage. On se souvient de François Hollande, souvent moqué pour ses petites virées humoristiques. Les « hollanderies » comme on les appelées à l’époque, laissaient les journalistes perplexes et ses rivaux agacés. Et si on ne dirige pas un pays en faisant de l’humour et des traits d’esprits, il est clair que cela adoucit l’image élitiste des hommes politiques.
À l’heure où *7 Français sur 10 ressentent de la méfiance à l’égard du président, TikTok peut devenir un outil pertinent pour renouer un lien fragilisé avec les citoyens
Quelle place pour l’humour en politique
Emmanuel Macron a malgré lui l’image d’un homme froid et distant. Difficile alors de l’imaginer dans un autre registre sur les réseaux sociaux. Manier la « politique de l’humour » reste un exercice compliqué. « L’humour n’est pas pour tous les hommes politiques, nous explique Andrea Borello. En Italie, Silvio Berlusconi, qu’on apprécie ou pas, a contribué à désacraliser la fonction politique en apportant sa touche d’humour. Il était doué pour ça, il avait ce truc que les autres n’avaient pas ». On peut également citer maître en la matière : Barack Obama. Humour, punchline et bonne humeur loin du cynisme politique ambiant. C’est un quasi sans faute pour l’ancien président dont les vannes sont connues dans le monde entier.
Premier arrivé, premier servi
Quand j’ai commencé à faire des vidéos politiques sur TikTok, il y avait des commentaires comme « La politique sous ce format ? Ça m’intéresse ! », ce n’était pas des personnes intéressées au départ puis, lorsque ce type de contenu est arrivé, ils se sont dit « Ah tiens, pourquoi pas ! ». L’apparition inattendue des personnalités et créateurs de contenus politiques a créé de la demande. Cette même demande a crée de l’offre et ainsi de suite. C’est un cercle vertueux qui commence.» Andrea Borello
À l’instar d’Instagram qui à ses débuts s’adressait uniquement aux photographes, TikTok est destinée à évoluer grâce à ces utilisateurs. Le succès du hashtag #blacklivesmatter (10 milliards de mentions !) démontre l’intérêt des Tiktokeurs pour des sujets sociaux et sociétaux. Alors comment les utilisateurs vont-ils s’approprier l’application ? Comment vont-ils dessiner les contours de son évolution ? On peut d’ores-et-déjà imaginer une présence politique plus importante dans quelques mois et totalement banalisée dans quelques années. Et lorsque ça arrivera, les premiers arrivés auront déjà une belle longueur d’avance. À bon entendeur.